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Qui sont les Kurdes ? #1

Sahar Fahrang, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

La tragédie d’Halabja

Dans l’histoire contemporaine, l’année 1988 fut la pire pour les Kurdes. Les troupes du régime de Saddam Hussein ont mené des opérations dans le Nord de l’Irak, connues sous le nom d’Anfal. On estime que 180’000 Kurdes ont perdu la vie dans ce génocide. L’épisode le plus célèbre est le bombardement aux armes chimiques de la ville d’Halabja, le 16 mars 1988.

Omar Khavar est l’une des victimes emblématiques de ce bombardement. Une photo icônique d’Ahmad Nateqi le représente, mort dans sa fuite, recroquevillé et serrant son enfant contre lui.

Ahmadirad Salahaddin, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, a essayé d’imaginer sa dernière journée ; son récit se fonde sur des éléments biographiques réels.

La dernière pièce

Après avoir passé une matinée chargée et stressante à la boulangerie, Omar est vraiment fatigué. Malheureusement, il y a eu beaucoup de terribles nouvelles concernant les opérations d’Anfal par Saddam Hussein contre les Kurdes. Après la dernière attaque de l’armée iranienne, la situation de la ville est devenue très compliquée et l’avenir semble bien sombre. Omar entend quelques bruits très forts qui semblent habituels, parce que cela fait deux jours que les avions de combat irakiens bombardent la ville d’Halabja et les villages environnants. Beaucoup de gens quittent la ville mais quelques-uns décident de rester. La femme d’Omar veut quitter la ville mais lui, il affirme qu’il a décidé d’y rester jusqu’à la fin et il ajoute : « Si tu veux, tu peux quitter la ville avec les enfants ! ». Mais sa femme n’accepte pas de s’en aller sans lui.

Il regarde encore une fois les jumeaux. Qu’ils sont beaux ainsi endormis ! Il se souvient de l’époque où il jouait au théâtre ; à cause de la situation familiale, il a dû abandonner ce métier. Il aimerait voir ses fils un jour sur la scène d’un théâtre et il se promet de tout faire pour réussir. Il reste seulement cinq jours jusqu’à Norouz et on peut sentir le printemps. « Malgré les mauvaises nouvelles et grâce aux jumeaux, la fête de cette année sera différente ! » se dit Omar avec espoir.

« Papa c’est l’odeur d’une pomme, n’est-ce pas ? » lui demande sa fille aînée. Oui, elle a raison, c’est une odeur étrange. Cette fois c’est très différent : après les explosions, une fumée blanche monte au ciel. C’est bizarre ! En même temps il entend des voisines quitter leur maison en criant : « C’est un bombardement chimique ! C’est un bombardement chimique ! ». Sa femme crie dans l’autre chambre : « Les enfants ne vont pas bien, ils vomissent ! ».

« Allons-y ! Il faut quitter la maison maintenant ! » dit Omar à sa famille.

Il prend les jumeaux et il court vers la campagne mais sa tête commence à tourner et sa respiration devient difficile ; il se sent comme sur une scène de théâtre où il est en train de jouer sa dernière pièce …

Chaque année, avant le printemps, avant de fêter Norouz, je pense à Omar Khavar et à toutes les victimes de Halabja avec ce poème de Sherko Bekas :

Réponse

Après l’étouffement d’Halabja

J’ai écrit une longue plainte à Dieu

Avant de la lire aux gens, je l’ai lue à un arbre

L’arbre a pleuré.

Un pigeon voyageur m’a demandé : « Comment vas-tu l’envoyer ?

N’attends rien de moi, je ne peux pas voler aussi haut, jusqu’au trône de Dieu »

A la tombée de la nuit

L’ange endeuillé de mon monde poétique, m’a dit : « Pas de problème, Je l’apporterai jusque là-haut, mais sûrement pas jusqu’à sa propre main. Dis-moi qui a le droit de voir Dieu en face ?»

J’ai dit : Merci beaucoup, ce serait magnifique !

Et l’ange de mon espoir s’est envolé avec ma plainte.

Le lendemain il revient.

Le secrétaire du quatrième niveau du bureau de Dieu, nommé « Obaide »,

Sur la même page de ma plainte, en bas

Avait écrit en arabe :

« Imbécile, réécris ta plainte en arabe ! Ici personne ne comprend le kurde, et personne ne la donnera à Dieu ! »

Ahmadirad Salahaddin

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils