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« Pour s’intégrer il ne faut pas avoir peur des gens »

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Le parcours de Louisa, une jeune requérante d’asile vivant à Neuchâtel

Comment êtes-vous arrivée en Suisse ?

J’ai voyagé plusieurs jours en voiture et c’était très pénible. Je suis venue avec ma mère et mon frère ; on était les trois heureusement. Toute seule c’était impossible.

Vous aviez quel âge à ce moment-là ?

C’était en 2011, j’avais 17 ans.

Dans quel canton êtes-vous arrivée ?

Nous sommes arrivés à Basel (Bâle N.D.L.R). Et on se disait que ce nom Basel, ça veut dire peut-être dire « base » (sourire). On est arrivés dans une cafétéria ou quelque chose comme ça, on est allés là parce qu’on a vu des gens. Le centre d’accueil était juste à côté mais on ne l’avait pas vu (sourire). C’est quelque chose dont je me souviendrai toujours. Tout ce monde, tous ces gens qui travaillaient-là étaient très sympas.

Et comment êtes-vous entrés dans le centre ?

Il y avait une assistante qui travaillait-là, qui parlait un peu en russe. On nous a conduit vers elle et elle ne savait pas qu’on venait d’arriver, mais elle nous a toute expliqué comme si on était des requérants d’asile déjà enregistrés. Lorsqu’elle a pris le temps pour discuter avec nous et à la fin de la discussion (sourire), elle s’est rendue compte qu’on n’était pas encore des requérants mais qu’on venait juste d’arriver (sourire). Puis là, elle nous a pris en charge, nous a accompagnés vers le camp, vers les assistants qui devaient s’occuper de nous.

Qu’est-ce que vous avez pu emporter avec vous comme souvenir ?

J’ai toujours des souvenirs en moi. Certains sont assez positifs et d’autres négatifs. Mes plus beaux souvenirs sont ceux de mon enfance. Quand j’étais plus petite, la vie était un peu différente… c’est sûr, c’était mon enfance, malgré le fait qu’il y avait aussi la guerre… Mais je garde les bons moments avec mon grand-père et ça c’est bien. Depuis maintenant 7 ans que je suis partie, je n’ai plus de contact avec le pays.

Votre famille vous manque-t-elle ?

Mon grand-père oui. Il me manque.

Aimeriez-vous lui passer un message ?

Que je l’aime, que je vais bien. Je l’aime très fort.

Comment se sont passées toutes ces années en Suisse ?

Il y a eu des moments où c’était très difficile. Nous avons fait la connaissance d’un couple Suisse. Ils ont été très présents pour nous soutenir, nous donner de la motivation et de la force. Nos assistants sociaux étaient aussi là pour nous aider. Je suis à présent indépendante et c’est vraiment grâce à toutes ces personnes.

Comment avez-vous trouvé un travail ?

Ah (sourire), ce n’était pas facile non plus ! Un jour, j’ai fait un stage à l’hôpital et puis durant ces trois jours, je me suis rendu compte que c’était quelque chose de très intéressant. J’ai trouvé une place pour un apprentissage d’assistante à la santé communautaire. Maintenant je travaille dans les soins à domicile.

Comment avez-vous obtenu votre permis de conduire ?

Ah (sourire) le permis de conduire, ouf, c’était aussi pas quelque chose de facile. Pendant ma formation en troisième année, j’avais envie de faire quelque chose d’autre d’avoir un hobby, et vu que j’étais aussi « âgée », je me suis dit : « c’est bien d’avoir une voiture ». Alors je me suis lancée en faisant les cours de samaritains. Ensuite, j’ai passé la théorie et j’ai compris que c’est possible de faire le permis de conduire avec mon niveau de français. J’ai pensé : si j’ai réussi la théorie, la pratique ça va être encore plus facile. Mais non (sourire) ce n’est pas du tout le cas, c’est aussi difficile. J’ai réussi du premier coup la théorie mais pas la pratique. Mais je me suis « accrochée » et j’ai fini par acheter ma propre voiture, avec l’aide financière d’amis.

Vous avez dit que vous étiez âgée ?

(Rire) J’avais l’âge d’avoir le permis de conduire si vous voulez.

Quel permis de séjour avez-vous ?

En ce moment j’ai un permis F.

Depuis combien de temps l’avez-vous ?

(Sourire) C’est tout récent aussi. J’ai eu le permis N pendant 6 ans. Ensuite, nous avons reçu ma famille et moi une lettre nous disant que notre dossier est refusé (réponse négative). On a contacté une personne de Caritas et nous avons fait ensemble un recours. La réponse à ce recours a pris beaucoup de temps. Ensuite nous avons obtenu un permis F. C’était long. C’était des années très difficiles pour nous.

Quelles conditions devriez-vous remplir pour obtenir le permis B?

Alors pour le permis B, il faut être bien intégré dans la vie sociale et la vie professionnelle. Il faut parler la langue, avoir un travail, devenir indépendant financièrement et, aussi, c’est un gros point positif si vous faites quelque chose d’autre à part le travail, comme une activité, du bénévolat, etc…. C’est vraiment important d’avoir une vie sociale. Avoir le permis B ça prend beaucoup de temps (sourire).

Vous avez fait la demande ?

Oui, au mois d’avril j’ai envoyé mon dossier. Puis là, j’ai reçu une lettre qui m’informe qu’ils prennent en charge mon dossier…j’attends (sourire).

Pour vous, l’intégration ça veut dire quoi ?

L’intégration c’est déjà pouvoir parler la langue du pays d’accueil pour communiquer avec les autres, s’intéresser à sa culture à son histoire. Le mot s’intégrer est très large. Pour s’intégrer, il ne faut pas avoir peur des gens. S’intéresser veut dire s’intégrer.

Si vous aviez la possibilité de vous projeter dans 20 ans ?

Dans 20 ans ? (Sourire) je ne sais pas. Je ne me projette pas dans un futur trop lointain, mais je pense faire plus tard une nouvelle formation.

Quelle formation ?

Je ne sais pas encore, j’hésite. Tout m’intéresse. L’informatique m’intéresse beaucoup.

Ça veut dire que vous n’aimez pas votre formation actuelle?

C’est très difficile les soins. Il faut avoir de la distance avec les patients, il faut se protéger et moi je suis comme une éponge. Si je vois une personne triste, je suis aussi triste. Je sais que je ne vais pas faire ce métier toute ma vie.

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus quand vous êtes arrivée en Suisse?

Tout (sourire). En arrivant au Basel (Bâle N.D.L.R), c’était la première fois que je voyais des personnes de couleur noir.

Vous aviez quel rêve en venant en Suisse ?

Qu’on soit en sécurité. Je voulais qu’on soit heureux.

Aujourd’hui vous avez quel rêve ?

(Sourire) J’ai beaucoup de rêves. J’ai envie d’aider les autres. J’ai envie d’enlever la haine qui règne un peu partout dans le monde.

Dernière question, si vous aviez la possibilité de supprimer un mot dans le monde entier, vous supprimeriez lequel ?

Il y a trop de mots que je veux supprimer, la guerre, l’argent…

L’argent ? C’est intéressant

Oui, la guerre c’est à cause de l’argent. La santé aussi s’achète, tout se base sur l’argent. Je trouve ça triste, horriblement triste. Si je pouvais supprimer tous les mots, je garderais la paix, c’est ce dont le monde a besoin aujourd’hui, la paix, la tranquillité.

Je crois que nous – les êtres humains – on a pas besoin de beaucoup de choses pour être heureux, c’est nous qui nous créons des problèmes.

Propos recueillis par :

Essi

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Depuis cette interview, Louisa a obtenu son permis B. 8 ans d’attente. Elle cherche à faire une nouvelle formation. Elle continue son chemin, avec des hauts et des bas, mais sans jamais baisser les bras.