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« Schéhérazade »

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pixabay.com CC0 Creative Commons

Chroniqueur du génocide

En mémoire du 103ème anniversaire du génocide arménien

J’ai lu l’œuvre épique de Franz Werfel (900 pages) Les_Quarante_Jours_du_Musa_Dagh (1933), il y a près de vingt ans. Un roman passionnant basé sur les témoignages épouvantables des réfugiés arméniens, que le célèbre écrivain autrichien-bohémien avait rencontrés à Damas-Syrie, en 1929, lors d’une tournée au Moyen-Orient avec sa femme[i].

J’ai été tellement impressionné par les événements et les personnages que pendant des mois ils sont devenus une partie de moi. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je suis moi-même un descendant d’un survivant du génocide et mon âme troublée a été hantée par d’innombrables histoires de massacres et de déportations.

Pour vous dire la vérité, je me suis parfois posé la question hypothétique: Si Franz Werfel avait poursuivi son voyage en Syrie en traversant les camps de concentration de Deir elzor au nord-est de la Syrie: Ras alain, et ma ville natale Qamichli, il aurait pu rencontrer, parmi innombrable d’autres survivants du génocide arménien, mon grand-père Bedros et bien entendu son incroyable histoire de mort et de résurrection! Et pourquoi pas? Il aurait pu produire son deuxième chef d’œuvre intitulé Schéhérazade, d’après la célèbre conteuse des Mille et Une Nuits!

Tout a commencé dans un petit village du sud-est de la Turquie dans la province de Batman, district de Besiri, région principalement peuplée de Kurdes, d’Arméniens et d’autres minorités chrétiennes, pendant et à la suite le génocide arménien perpétré par la Turquie ottomane en 1915.

Après le massacre de sa famille élargie, l’orphelin Bedros, ne fut pas mis à mort pour la seule raison d’avoir été doté d’une voix merveilleuse et d’une étonnante capacité à mémoriser et chanter des chants traditionnels kurdes d’origine folklorique!

Ainsi, l’enfant arménien analphabète, qui ne parlait que kurde, âgé probablement de 14 à 15 ans, grandira pour devenir le principal chanteur traditionnel d’un chef féodal kurde influent de la région.

Chaque soir, les villageois fatigués et les invités des régions voisines affluaient dans la grande salle, présidée par le Chef, désireux d’entendre le « divertissement » de Bedros. Il récitait de son « répertoire » sans fin, des chansons folkloriques et des récits historiques qu’il avait entendus depuis son enfance: des histoires de batailles féroces, de vaillants héros et de grandes villes. Il chantait aussi les louanges du Chef, louant ses vertus ainsi que les mérites de ses ancêtres. Mais, pas un mot de la douleur brûlante qui tourmentait son corps et son âme: les horribles images du massacre de sa famille et de l’extermination de toute son ethnie !

Comme l’héroïne intelligente des Mille et Une Nuits qui gardait le roi Shahryar excité par ses contes pour qu’il puisse épargner sa vie un jour de plus, Grand-père n’oublia jamais le récit du jour suivant, de peur que cela ne lui coûte sa vie.

Mais, tandis que l’histoire de Schéhérazade se termine heureusement à la fin des Mille et Une Nuits, son épreuve prend encore un autre tour tragique.

Une fin de soirée morne, ayant terminé sa « performance », épuisé et désespéré, il traîne ses pieds à la maison à l’extrémité du village, et découvre une scène qui lui glace le sang et qui laissera abasourdi jusqu’au dernier jour de sa vie! Sa maison était totalement pillée, sa femme kidnappée, son petit-fils et son neveu, âgés de 3-4 ans, étroitement attachés aux barreaux de la fenêtre, égorgés d’une oreille à l’autre…

Je n’ai pas vu mon grand-père qui est décédé quelques années après son évasion miraculeuse en Syrie et après avoir sauvé sa femme. Mais, je me souviens bien de son visage pâle qui regarde le vide sur une photo accrochée au mur de notre chambre. Ses yeux grands ouverts semblaient désespérément à la recherche de quelqu’un pour raconter les histoires jamais racontées de ses êtres chers, ainsi que de nombreuses autres histoires douloureuses et tristes…

H. Dono

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

1-  BBC radio Documentaire sur le roman de Franz Werfel Quarante jours de Musa Dagh http://www.bbc.co.uk/programmes/b09pkmpc

2- Base documentaire sur le génocide arménien http://www.imprescriptible.fr/

 



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