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A mes héros

Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

De la part d’un petit Suisse à qui les requérants donnent de belles leçons…

Mes chères Voix d’Exils,

N’y voyez par cette appellation aucune intention de ma part de vous réduire à un programme de l’EVAM. Au contraire, il s’agit de vous élever au rang de la représentation que je me fais de vous. Vous êtes les voix dont le monde a besoin : vous rédigez, filmez, parlez : vous créez des œuvres au nom de toutes les personnes sur les chemins de l’exil. Jour après jour, je vous côtoie et vous découvre. Sous un nouvel angle grâce à vous, je goûte à l’humour, parfois l’allégresse, tantôt la joie et parfois la tristesse. Mais avant tout, ce sont des personnes que je découvre, des héros malheureusement inconnus.

C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il est temps à mon tour de m’ouvrir à vous, après maintenant plusieurs mois passés à vos côtés. Cette lettre est pour vous, faites-en l’usage que vous souhaitez. Ce sont mes remerciements, une humble contribution au travail que l’on abat ensemble.

Ma venue à l’EVAM se traduit par des ruptures. Une rupture avec un monde de représentations préfabriquées, une rupture avec une certaine perception des requérants d’asile, une rupture avec une interprétation prématurée de ce que vous vivez. Mes chères Voix, vous avez brisé les plus ridicules stéréotypes derrière lesquels la Suisse se cache ; par votre force et votre détermination, vous détruisez l’image de l’être profiteur et la remplacez par celle du travailleur. Vous m’avez convaincu de l’immense apport dont bénéficie cette société par votre présence ; vos contributions sur le site internet reçoivent moins du dixième de l’attention qu’elles méritent, et vous produisez, par pudeur ou humilité, moins de la moitié de ce que vous êtes capables d’exprimer. Finalement, vous m’avez ouvert les yeux et permis de relativiser. Votre situation parfois précaire, les difficultés que vous devez surmonter et les ressources que vous déployez rendent mes problèmes insignifiants, mes efforts dérisoires.

Ma venue à l’EVAM se traduit par des rencontres. J’ai rencontré des hommes et des femmes. J’ai rencontré des jeunes fougueux, de vieux sages, des personnes dans la force de l’âge. J’ai rencontré des personnes qui sont venues seules, d’autres entourées de proches. J’ai rencontré des journalistes, des enseignants, des scientifiques, des cadres, des artistes et j’en passe. J’ai rencontré des papiers qui vous sont remis et appelés permis ; ils prennent parfois une couleur blanche et plus rien n’est acquis. J’ai rencontré des amis, des connaissances et des inconnus. Mais derrière toutes ces étiquettes, j’ai avant tout rencontré des personnes, des êtres humains, et parmi les plus beaux et les plus forts qu’il m’a été donné de croiser. Les étiquettes doivent être arrachées et les masques tomber : vous êtes mes héros au quotidien.

Ma venue à l’EVAM se traduit par des émotions. Il existe sept émotions universelles et je pense être passé par toutes avec vous. La surprise m’a gagné lorsque vous m’avez fait part de bribes concernant votre passé. Jamais je ne m’attendais à rencontrer des gens aussi brillants que vous, jamais je n’imaginais les épreuves que vous avez traversées. J’ai connu le dégoût pour le traitement qu’il vous arrive de subir, et le mépris envers ceux qui vous l’infligent. Celui-ci s’est parfois transformé en colère lorsque j’étais dans un mauvais jour ou ressentais de profondes injustices. Puis d’autres fois, la tristesse prenait le dessus, je me sentais abattu et aussi utile que la plante verte sur la fenêtre : je donnais peut-être un petit sourire ou un peu d’oxygène, mais je restais décoratif. Cinq des émotions sont définitivement considérées comme négatives. La surprise peut aller dans les deux sens, selon l’interprétation qu’on en fait. La dernière est la seule définitivement positive et c’est celle que je partage le plus souvent avec vous mes chères Voix : la joie. Malgré vos difficultés, votre statut, vos circonstances de vie, vous trouvez toujours en vous la force de rire, l’envie de communiquer vos espoirs, et le désir de partager votre joie. Je le répète, vous êtes mes héros.

Ce texte se terminera par cet appel : mes chères Voix, mes héros, montrez-vous. Produisez, publiez et faites-vous entendre. Partagez vos expériences, aiguisez votre esprit critique, détruisez les représentations erronées des Suisses et faites taire les préjugés.

Merci pour tout.

K.