1

«Il faut défendre l’existence de la norme antiraciste»

Doris Angst, Directrice de la Commission fédérale contre le racisme (CFR).
Doris Angst, Directrice de la Commission fédérale contre le racisme (CFR).

Mis en œuvre le 1er janvier 1995 afin d’interdire la discrimination et l’atteinte à la dignité des personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, la norme antiraciste a fait l’objet de nouvelles attaques venant de l’extrême droite Suisse qui la juge « liberticide » car trop contraignante au point d’entraver l’un des piliers de la démocratie : la liberté d’expression. Voix d’Exils a interviewé Doris Angst, Directrice de la Commission fédérale contre le racisme (la CFR) pour en savoir davantage sur les enjeux des récentes attaques de cette norme formalisée dans l’article 261 bis du Code pénal suisse.

Voix d’Exils : Quels sont les objectifs que poursuit votre service et quels sont les outils et les ressources qui sont à sa disposition pour lutter contre le phénomène raciste en Suisse?

Doris Angst : La phrase clé du mandat donné par le Conseil fédéral à la CFR est la suivante :« La CFR s’occupe de la discrimination fondée sur des critères raciaux, ethniques et culturels, favorise la compréhension entre les personnes de race, couleur, origine, religion, provenance ethnique ou nationale différentes. Elle lutte contre toute forme de discrimination raciale directe ou indirecte et attache une importance particulière à la prévention pour que celle-ci soit efficace ». La CFR dispose d’un budget de CHF 200’000.- par an et est dotée d’un secrétariat de 2,9 postes.

Depuis quand et pourquoi selon vous  l’UDC  souhaite-elle abroger cette norme ?

L’UDC, parti populiste de droite, défend une liberté d’opinion et d’expression presque absolue. Dans ses campagnes, elle utilise souvent un vocabulaire et des images xénophobes. Elle joue avec les sentiments racistes sous-jacents dans une bonne partie de la population.

Qui est chargé de faire respecter cette norme ?

Le Tribunal fédéral défend cette grande liberté d’expression dans le processus de la démocratie directe. Aucun tribunal suisse n’a, jusqu’à présent, condamné une campagne politique pour cause de racisme. Par contre, des personnalités politiques ont été jugées coupables pour des propos racistes tenus dernièrement sur leur compte Twitter.

Quels sont selon vous les enjeux relatifs à la suppression de cette norme ?

Tant que la Suisse veut adhérer à la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, elle est tenue d’interdire le racisme. Comme Mme Helen Keller, juge suisse à la Cour européenne des droits de l’homme, l’a dernièrement déclaré dans une interview : « l’abolition de la Convention européenne des droits de l’homme ne trouvera pas de majorité en Suisse. » J’en tire la même conclusion pour l’abolition de la norme pénale contre le racisme qui appellerait à l’abolition de la Convention contre le racisme de l’ONU. Il faut comprendre que ces engagements pris par la Suisse font désormais partie intégrale de notre propre droit et ne sont en aucune manière du droit « étranger ».

Concrètement, la norme antiraciste adoptée en 1994 est-elle selon vous efficace ?

Oui, elle est efficace, au moins dans certains domaines. On peut contrer les négationnistes, elle a été un bon instrument pour lutter contre l’extrémisme de droite (qui est par définition raciste). L’application de la norme d’aujourd’hui garantit une bonne pratique contre des propos racistes commis par des individus – dans la rue, par des voisins etc. Dans d’autres domaines, on souhaiterait une pratique juridique plus dure. Pour le moment, il n’est pas question d’améliorer la norme, mais certes, on pourrait encore améliorer son application. Surtout, il faut défendre l’existence d’une telle norme !

Les  victimes de propos racistes et discriminatoires hésitent-elles à porter plainte ? Si oui, pourquoi ?

Certaines, oui. Les raisons sont : peu de confiance dans la norme, déception par des arrêts dans le passé. Certains groupes n’ont pas vraiment le même accès à la justice, même si la discrimination raciale est un délit poursuivi d’office. Pensez seulement au requérants d’asile, par exemple… Par ailleurs, il faut bien comprendre que la norme pénale ne protège pas contre la discrimination dans les domaines civils comme le logement, le monde du travail, etc. ce qui laisse parfois les victimes assez désespérées. Contrairement à l’Union européenne, il manque, en Suisse, une loi cohérente contre la discrimination.

Quelle est votre opinion à propos des accusations de l’UDC qui prétend que la CFR est « une organisation partisane, très à gauche, qui ne fait que gesticuler et coûte cher au contribuable » ?

La CFR a été instituée par le Conseil fédéral et il a renouvelé son mandat en mai 2013. L’abolition de la CFR a été votée en 2007 au parlement : avec un tiers (l’UDC) pour cette abolition et deux tiers contre.

Propos recueillis par :

Bamba

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Racisme anti-Noirs: un phénomène trop souvent minimisé selon la CFR

La Commission fédérale contre le racisme CFR a publié le 12 juin dernier sur son site Internet un bulletin TANGRAM sur le racisme anti-Noirs. Elle désire ainsi attirer l’attention sur un phénomène qui est encore trop souvent minimisé ou mis sur le compte de la susceptibilité des victimes.

Le bulletin peut être téléchargé en cliquant ici

La rédaction

Informations:

Pour consulter l’article 261 bis du Code pénal suisse (la norme antiraciste) cliquez ici

Pour accéder à un historique des attaques contre la norme antiraciste cliquez ici