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Du Liban à Salvan, trajectoire d’une migrante en Valais depuis plus de 20 ans

Mme Lina Hleihel. Photo: Voix d'Exils

Mme Lina Hleihel. Photo: Voix d’Exils.

Semaine contre le racisme 2014

Depuis 2010, le Valais s’associe aux cantons latins pour sensibiliser la population à la problématique des discriminations raciales. Le temps d’une «semaine contre le racisme», différentes actions sont mises sur pied par le bureau cantonal de l’intégration. Cette année, des livres humains ont notamment été proposés dans les bibliothèques du canton, véritables voyages littéraires à la découverte de migrants qui se racontent. Lina Hleihel, libanaise d’origine, en fait partie. Elle s’est livrée le 22 mars dernier à Sierre. Rencontre.

Voix d’Exils : Lina, qu’est-ce qui vous a poussé à fuir votre pays d’origine pour atterrir en Suisse ?

Lina Hleihel : J’ai quitté mon pays en 1990, j’avais 24 ans et mon premier enfant 4 ans. Mon mari avait déserté l’armée après la mort de son ami dans l’explosion d’une bombe. Nous avons décidé de partir en Italie. J’étais enceinte de mon deuxième enfant, Youssef. Depuis l’Italie, nous avons voyagé jusqu’en Suisse où j’avais un cousin. Nous avons déposé une demande d’asile à Vallorbe. Aujourd’hui, je vis à Martigny et nous avons désormais 4 enfants. J’exerce les professions d’enseignante et interprète.

Vous avez participé cette année à la bibliothèque humaine de Sierre. Racontez-nous cette expérience…

C’était la première fois que j’y participais. J’ai raconté mon histoire à 4 personnes qui s’étaient inscrites pour un entretien individuel, un public sympathique qui m’a posé très peu de questions. Seul un monsieur m’a demandé comment j’avais appris le français, je lui ai répondu qu’on l’enseigne à l’école dans mon pays. Une très belle expérience que je referai volontiers, je n’ai pas de gêne à parler de moi.

Une telle action permet-elle réellement de sensibiliser la population au problème que représente le racisme ?

Disons que c’est une démarche plutôt positive. Mais, pour moi, le racisme va toujours exister, comme un racisme caché. Par exemple, lorsqu’un étranger cherche un emploi, il lui faut un piston, sinon il est difficile d’obtenir ce job. C’est le cas au Liban aussi, ce racisme existe partout.

Selon un sondage diffusé la semaine dernière par le quotidien valaisan Le Nouvelliste, près de deux tiers des répondants ne se disent pas prêts à donner de leur temps pour partager un moment d’échange avec les étrangers. Que vous inspire cette proportion ?

Ce sont des gens qui n’ont pas voyagé, qui ont peur des étrangers et qui ont l’esprit fermé. Certains Suisses ont peur de la découverte de l’autre, ils sont très méfiants, surtout en Valais. Je crois vraiment avoir eu la chance de pouvoir travailler pour le canton, que ce soit comme interprète ou professeur de français. Ces expériences m’ont appris à m’imposer et à dire non quand il le faut.

Vous êtes en Valais depuis plus de 20 ans. Comment s’est passé l’intégration pour vous et votre famille ?

Lina Hleihel racontant son histoire lors de l'action "les livres humains". Photo: Voix d'Exils

Lina Hleihel racontant son histoire lors de l’action « les livres humains ». Photo: Voix d’Exils.

J’ai d’abord habité 9 mois à Salvan, un village que je n’ai jamais aimé. Moi qui viens d’un pays chaud, convivial, je trouvais le regard des gens frappant, comme s’ils se demandaient «qu’est-ce que font ces étrangers chez moi». Par la suite, nous avons déménagé à Martigny, où ça s’est beaucoup mieux passé.

A plusieurs reprises, nous avons reçu une décision d’expulsion de la Suisse. C’est en quelque sorte grâce aux malheurs de Youssef que nous avons pu rester, car il souffre de problèmes cardiaques. Mais, malgré son état de santé, il a fallu se battre et ce n’est qu’après 4 ans d’attente que nous avons pu obtenir un permis de séjour. La famille s’est ensuite agrandie: j’ai accouché de Mireille en 92 et de Marwa en 98.

Mon mari travaillait comme peintre en bâtiment. De mon côté, j’ai commencé par travailler le soir en donnant des cours de cuisine libanaise et de danse orientale. J’ai ensuite été traductrice pour la police. Mon mari a appris le français avec Thérèse Cretton, une femme d’une qualité rare, humaine, généreuse, qui nous a accueillis à bras ouverts. J’ai eu de la chance de connaître des personnes qui m’ont aidé à faire certaines démarches.

Ressentez-vous le vote du 9 février « contre l’immigration de masse » comme une menace ?

Oui, certainement. Un vote contre les étrangers est forcément négatif. Je peux malgré tout comprendre qu’on mette une limite et qu’on veuille intégrer des étrangers qui travaillent en Suisse, qui sont en quelque sorte «utiles» au pays.

Dans l’idéal, envisagez-vous de rester en Suisse, ou souhaiteriez-vous retrouver votre pays natal ?

En 2008, j’ai quitté définitivement la Suisse. Mais je suis revenue 6 mois plus tard, avec beaucoup de déception. J’ai toujours rêvé de rentrer un jour au pays et de rester, mais les gens ont changé et nous aussi d’ailleurs. L’intégration y a été très difficile. Nous étions en quelque sorte des étrangers là-bas aussi. Pour l’instant, je vois donc mon avenir en Valais. Ma famille et moi avons d’ailleurs obtenu la nationalité suisse depuis une dizaine d’années. Quant au Liban, j’y retourne régulièrement, mais pour les vacances.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

La semaine contre le racisme, qu’est-ce que c’est ?

Sans titreLa Suisse organise la semaine contre le racisme à la suite du 21 mars, décrété par l’ONU comme journée internationale contre le racisme en 1996. L’objectif est de contribuer à l’élimination de la discrimination raciale que ce soit à l’école, dans le sport, dans la recherche d’un logement ou d’un travail. Dans différents cantons, des actions sont mises en place : théâtre, concert, ou encore expositions.

Infos : http://www.semainecontreleracisme.ch/fr