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L’influence grandissante de la Chine sur le continent africain

Un dessin signé la rédaction valaisanne de Voix d'Exils

Un dessin signé la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Depuis plusieurs années, on assiste au grand retour de la Chine sur la scène internationale et particulièrement en Afrique, continent privilégié des Européens.

L’objectif premier du gouvernement chinois en Afrique est la coopération au développement sur le plan économique et commercial, avec un accroissement considérable des échanges commerciaux entre les deux continents. Ces échanges ont été multipliés par sept entre 2000 et 2007.

La Chine : premier bailleur de fonds de l’Afrique

Pourtant, à peine le dix pour cent de l’ensemble de l’exportation africaine est destiné à la Chine. Il s’agit principalement du pétrole et des ressources minières: soixante-dix pour cent pour le pétrole et quinze pour cent pour les ressources minières. Quant aux produits importés de Chine, ils ne représentent qu’à peu près trois pour cent. Il s’agit de textiles, de chaussures, d’appareils électroniques, d’équipement de télécommunications, de voitures etc…

Compte tenu des montants accordés à titre d’aide au développement (deux milliards par an), la Chine est l’un des plus importants bailleurs de fonds du continent africain. La politique de la Chine est basée sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays africains et elle n’hésite pas à investir dans les pays où la corruption et la violation des droits de l’homme est monnaie courante comme le Zimbabwe ou le Soudan.

Si la présence de la Chine en Afrique augmente les recettes des exportations de matières premières, elle a des conséquences négatives pour les industries africaines et ses travailleurs. Les prix de vente des produits chinois sur les marchés africains défavorisent la production locale et entraînent la fermeture de certaines entreprises. Enfin, le non-respect de certains droits des travailleurs empêche la relance du pouvoir d’achat et crée des tensions sociales entre l’État et les syndicats.

Vers une nouvelle coopération africano-européenne ?

La coopération sino-africaine durera tant que l’Occident ne revienne à nouveau vers le continent africain et les chefs d’États africains doivent se saisir l’opportunité de cette présence de la Chine afin de relancer la concurrence entre les investisseurs étrangers.

Mais, au nom de ses anciennes colonies, de ses langues, de sa force de frappe militaire et de son contrôle monétaire, l’Europe doit contrer la percée chinoise en Afrique par l’amélioration de son développement politique et de ses échanges économiques tout en prônant la bonne gouvernance. Personne ne doute de l’influence de l’Occident sur l’Afrique. Hier, grâce à l’intervention de la France, le Mali a retrouvé son intégrité territoriale. Aujourd’hui, encore, la Centrafrique risque le génocide si l’Occident ne s’implique pas, alors que la Chine n’intervient jamais dans ce genre de situation.

Le Sommet de l’Élysée, qui s’est tenu en France du 6 au 7 décembre 2013, a posé les bases d’une relance de la coopération entre l’Africano-Européenne et nous pensons que c’est dans cette démarche raisonnable que l’Europe pourra aider les populations africaines à retrouver leur dignité et combler leur retard face à l’évolution du monde. Sinon, le bien-être promis par la colonisation s’avèrera un échec de grande envergure après soixante-dix ans d’indépendance.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Informations :

Source : La Chine et l’Afrique : Un nouveau partenariat pour le développement Richard Schiere, Léonce Ndikumana et Peter Walkenhorst – Groupe de la Banque africaine de développement




Des belles «Promess»

Un dessin signé Saras Pages

Une illustration signée Saras Pages.

Enquête

Dans le courant du mois de juillet 2013, une opération policière dénommée «Promess» a été menée dans le canton de Neuchâtel à l’encontre des dealers. Suite à cela, Nicolas Feuz, procureur du canton de Neuchâtel, a soutenu, dans un article de 20 minutes paru le 4 juillet 2013, que « [presque] 90% des demandeurs d’asile originaires de l’Afrique de l’Ouest hébergés par le canton s’adonnent au trafic de cocaïne ». Surpris par cette allégation, la rédaction vaudoise de Voix d’Exils a mené une enquête pour vérifier la consistance de ce chiffre et Fbradley Roland a pris sa plume pour écrire un édito.

Les chiffres de M. le procureur disséqués par Voix d’Exils

Pour vérifier si neuf requérants ouest-africains sur dix seraient des dealers dans le canton de Neuchâtel, la rédaction vaudoise a procédé à une enquête qui s’est déroulée en deux étapes.

Dans un premier temps, nous avons tenté de nous procurer le rapport de l’opération Promess afin de vérifier la méthodologie qui aboutissait au chiffre divulgué à la presse. Mais, malgré nos investigations, nous n’avons pas réussi à obtenir ce rapport. Dans un courriel envoyé par M. le procureur à la rédaction vaudoise, ce dernier mentionne que «[l]’opération PROMESS regroupe en réalité autant de dossiers qu’il y a eu d’appréhensions policières et/ou de personnes formellement mises en cause dans ce cadre, ce qui représente plus d’une centaine à ce jour […] Les autres informations contenues dans ces nombreux rapports demeurent pour l’heure bien évidemment couvertes par le secret de fonction et le secret d’instruction».

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Les chiffres précis et officiels n’étant pas accessibles, nous avons alors opté pour une méthode comparative. Nous avons contacté l’Office fédéral des migrations (ODM) pour obtenir une liste du nombre total de requérants, notamment ceux d’origines ouest-africaines, enregistrés depuis l’année 2010 jusqu’au premier semestre de l’année 2013 dans le canton de Neuchâtel, afin de vérifier si les chiffres avancés dans l’article sont plausibles. Après analyse, nous nous sommes rendus compte que les chiffres (ou du moins leur interprétation) s’avèrent vraisemblablement très différents des chiffres divulgués par le procureur.

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Selon les données fournies par l’ODM, sur les 433 requérants d’asile ressortissants d’Afrique de l’Ouest, 164 sont originaires du Nigeria et 279 viennent des autres pays de cette région.

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Si, sur 130 interpellations (avec une marge d’erreur sur la « centaine » citée plus haut) 70% concernent des Nigérians (« la majorité » citée dans l’article), alors 30% des requérants d’asile (91 Nigérians et 39 Autres) sont arrêtés pour deal face à 70% des ressortissants d’Afrique de l’Ouest qui ne dealent pas.

Donc, d’une part, les dealers sont une minorité parmi les requérants d’asile ouest-africains et, d’autre part, selon le procureur, ceux qui dealent seraient en majorité des ressortissants d’un seul pays parmi 15.

Ces résultats sont bel et bien différents de ceux avancés par le Ministère public et la police neuchâteloise. Plus loin, dans ledit article, Monsieur Feuz ajoute : «[qu]’on arrête de nous dire que seule une petite partie des requérants ouest-africains pose problème et fait de l’ombre aux autres, c’est tout simplement faux».

Il est bien connu que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. La diffusion de tels chiffres dans l’espace public – avec les conséquences dévastatrices pour l’image des communautés africaines qu’ils engendrent – mérite une fine analyse. Dans ce cas précis, il faut prendre garde à la formulation. A savoir, si la majorité des dealers arrêtés sont des Nigérians et que le Nigeria est en Afrique de l’Ouest, alors il n’est pas faux de dire que 90% des dealers sont d’Afrique de l’Ouest. En revanche, au vu des chiffres, il y a une forte majorité de migrants d’Afrique de l’Ouest qui ne deal pas. Par conséquent, il est entièrement faux de dire que 90% des Africains de l’Ouest sont des dealers, 70% d’entre eux ne l’étant pas.

Loin des polémiques, cet article vise à contrecarrer des amalgames fâcheux qui, malheureusement, préjudicient beaucoup de requérants d’asile. S’agissait-il d’un effet d’annonce ? Pourquoi donc la presse n’a-t-elle pas interrogé ce chiffre, alors même qu’il paraissait surdimensionné ? Comment empêcher que de tels phénomènes se reproduisent à nouveau ?

Seul un travail de vérification est susceptible de restituer les faits, mais le mal est malheureusement trop souvent déjà fait.

Elom et Bamba

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

En Helvétie du deal : chacun trouve son bonheur !

Édito

Nicolas Feuz, procureur du Ministère public du canton de Neuchâtel, se félicite que le nombre de dealers ait diminué, que près de 150 grammes de cocaïne et 12’000 francs suisses aient été confisqués. Et par la même annonce que 56 trafiquants ont été condamnés à de la prison ferme pour une durée d’un à six mois. La présence des dealers en ville de Neuchâtel s’est raréfiée depuis l’opération baptisée «Promess», «La grande majorité des personnes interpellées sont des Nigérians», explique sans ambages Nicolas Feuz dans les colonnes du journal 20 minutes. Mais l’article ne précise pas le nombre de demandeurs d’asile à Neuchâtel, n’indique pas si l’opération est uniquement ciblée sur les ouest-africains, ni qui sont les «vendeurs-grossistes», ou encore comment des trafiquants confinés dans des hôtels luxueux arrivent à recevoir leurs marchandises. Répondre à ces questions permettrait de mieux comprendre et d’analyser ces faits. Comment donc ne pas s’offusquer du manque de volonté en Suisse d’ouvrir un débat en dehors des biais politiques et de ses amalgames fâcheux sur les questions de l’immigration, de la vente de drogues et du racisme ? Un pan du voile devrait être soulevé sur au moins quatre points pour clarifier ces épineuses questions: la corrélation drogue-immigration, les manipulations politiques de cette question, le sensationnalisme qui en est fait autour par les médias et la réalité du terrain.

En attendant cela, on peut dire que la vie en Suisse restera «belle» pour beaucoup de monde. Les barons de la drogue «cinq étoiles» s’en mettent plein les poches; la presse fait feu de quelques boulettes de cocaïne par ci par là et vend ses titres à tour de bras, certains politiciens en profitent pour se faire élire ou pour gagner des votations, une partie de la population s’en met plein les narines, et les petits détaillants ouest-africains jouent au chat et à la souris avec la police.

Bref, en Helvétie du deal, chacun trouve son bonheur!

FBradley Roland

Journaliste, contributeur externe de Voix d’Exils

 




«Le discours pour justifier l’exclusion est aujourd’hui plus sophistiqué et moins identifiable au racisme qu’auparavant»

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d'Exils

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d’Exils

Face à la montée de l’extrême droite en Europe et à l’adoption par le peuple suisse de l’initiative portée par l’Union Démocratique du Centre (UDC) dite « Contre l’immigration de masse », Voix d’Exils s’est penché sur le sujet avec Philippe Gottraux, politologue à l’Université de Lausanne, pour mieux comprendre le phénomène.

Voix d’Exils : Quelles sont les spécificités et caractères communs des idéologies d’extrême droite ?

Philippe Gottraux : Historiquement, l’extrême droite européenne est liée à des courants qui ont été marginalisés après la guerre – comme le fascisme et le nazisme -, mais qui ont continué à exister très marginalement dans la société. Ce qui est préoccupant ces derniers temps, c’est la recrudescence des courants d’extrême droite partout en Europe. On observe, bien sûr, des différences entre eux, même si les thématiques peuvent se ressembler. Ils partagent, par exemple, une espèce de phobie envers les étrangers ou, pour les groupes plus modérés comme l’UDC, une obsession du « problème » que représentent pour eux les étrangers. Mais ce n’est quand même pas la chasse à l’homme à coups de barre de fer, organisée par le mouvement grec Aube Dorée dans les rues d’Athènes, sous les yeux complaisants de la police…

Qu’est-ce qui différencie les mouvements d’extrême droite actuels par rapport à ceux des années 30-40 ?

Les mouvements des années 30-40 ont perdu la guerre, puis la bataille idéologique. Il y a eu un tabou – au sens politique et positif du terme – pour interdire le racisme. Il a fallu une modération des discours d’extrême droite dans ce nouveau contexte. S’en est suivi la désignation de nouveaux boucs émissaires. Alors que, tendanciellement, l’antisémitisme est devenu indicible, le racisme anti-Roms se porte bien. A droite, on agite aussi la menace de l’Islam, de l’islamisation de l’Europe, ou encore celle des migrations venant des sociétés du Sud.

Quelle est la vision du monde des mouvements d’extrême droite ?

C’est la construction d’une vision du monde qui est systématiquement organisée autour d’une opposition entre « Eux » et « Nous », d’une conception anti-égalitaire et hiérarchique de la société, ainsi que d’un nationalisme exacerbé. Pour ce qui nous concerne ici, le « Eux », c’est évidemment les étrangers, les « races », les cultures différentes de « Nous », avec lesquels il ne faut pas se mélanger. Prenez le débat qu’il y a eu en Suisse sur les minarets à l’occasion de la votation populaire nationale de novembre 2009. Le « Eux », c’était les musulmans avec leurs pratiques supposées incompatibles avec nos institutions. Il faut savoir qu’au 19ème siècle, une initiative fédérale acceptée par le peuple visait à interdire aux Juifs l’abattage rituel. C’était déjà les mêmes mécanismes : « On n’a rien contre les Juifs, on prend la défense des animaux. » Cette initiative avait bien sûr permis un déferlement de discours antisémites.

Ce refus de l’autre est-il un phénomène que l’on observe dans toutes les sociétés ?

Dans toutes les sociétés, il y a des « Eux » et des « Nous ». Une différenciation se fait entre le groupe d’appartenance comme la nation, la culture, et les « Autres ». La question est de savoir ce qu’on fait de cette différence. Il y a, bien sûr, des différences entre « Eux » et « Nous », mais doit-on les conflictualiser pour renforcer le « Nous » contre les « Autres » ? Je pense qu’un des fonds de commerce de l’extrême droite, c’est de faire une lecture de la réalité sociale sur cette base-là.

Comment les partis d’extrême droite justifient-ils le rejet des étrangers ?

Ce n’est pas nécessairement des étrangers, c’est des « Eux » qui sont la plupart du temps des étrangers ou issus de l’immigration. L’extrême droite a été marginalisée après-guerre, parce que ses arguments pour exclure les « Eux » – en l’occurrence les Juifs ou les Tsiganes – étaient des arguments radicaux qui ont conduit à des extrêmes comme l’extermination. Maintenant, le discours pour justifier l’exclusion des « Eux », ou la séparation avec les « Eux », est en général beaucoup plus modéré, plus sophistiqué, et donc moins rapidement identifiable au racisme. Les gens qui se revendiquent explicitement du racisme ou qui revendiquent explicitement la supériorité des Blancs sur les Noirs ou des Suisses sur les étrangers sont minoritaires. De fait, les arguments qui circulent ne sont ni méprisants ni haineux, ils sont plus subtils. Le danger, c’est que ces arguments plus subtils sont davantage recevables pour la société.

Est-ce le seul danger ?

Non. L’autre danger, c’est la réappropriation tactique par ces courants d’extrême droite de thématiques ou de valeurs qui sont historiquement de gauche. Par exemple, la défense de la laïcité. On entend : « L’Islam est incompatible avec nos valeurs parce qu’il est contre la laïcité. » ; « On ne veut pas de musulmans ou d’immigrés venant du Tiers Monde parce qu’ils traitent différemment leurs femmes que nous. » Sous-entendu : « Ils traitent mal leurs femmes, nous on les traite bien. » L’extrême droite se réapproprie les valeurs de la défense du droit des femmes pour justifier des formes de racisme subtiles. On entend ainsi Marine Le Pen défendre le droit des homosexuels, les droits des femmes, la laïcité, la République, etc. Pour quelqu’un qui est à la tête d’un parti d’extrême droite, c’est quand même nouveau !

Que faire pour contrer ce brouillage politique ?

Il est difficile de combattre ces idéologies d’extrême droite parce que justement elles brouillent les clivages. En gros, elles se réapproprient et dévoient des valeurs de gauche, à tel point que ça fait éclater une partie de la gauche sur ces questions. Sur la question de la laïcité, sur la question du port du voile en France etc. La gauche vole en morceaux. Mais, une autre partie de la gauche a conscience que c’est très dangereux de raisonner ainsi, parce que c’est une manière de faire de la place à ce racisme nouveau.

Les discours apparemment modérés cachent les vraies valeurs de l’extrême droite. Peut-on parler de discours masqués?

Pour le Front National c’est une stratégie politique. Il faut moderniser le discours, être trop franc ça ne passe plus. Sans compter le risque d’avoir des procès, car il existe des normes pénales antiracisme. Donc, pour une partie des acteurs, c’est du maquillage, c’est du calcul. Mais une partie des journalistes ne se rend pas non plus compte de ce que cache ce type de discours. On l’avait vu lors de l’initiative populaire de l’UDC sur les étrangers criminels soumise au peuple en novembre 2010. Du côté de la presse, personne n’osait attaquer de front la logique raciste qu’il y avait là derrière, dans sa logique de double peine qui consiste à punir différemment en rapport à la nationalité.

Comment expliquer la recrudescence des mouvements d’extrême droite actuellement en Europe ?

Il y a plusieurs explications qui tendent à dire que c’est lié à la crise économique, à une situation socio-économique qui se dégrade. C’est en partie vrai. Mais l’Espagne et le Portugal sont des pays qui subissent des politiques d’austérité phénoménales qui dégradent les conditions de vie des populations, qui créent de la misère, sans qu’on n’observe pour autant une montée significative des partis d’extrême droite. Donc, la situation économique dégradée ne suffit pas à elle seule à expliquer la montée de ces partis. La meilleurs preuve c’est qu’en Suisse l’UDC fait de très bons scores, mobilise sur des thématiques de rejet des étrangers, alors que la situation économique est bonne en comparaison internationale.

L’autre argument pour expliquer l’avancée de l’extrême droite, l’idée que la gauche et la droite – au sens gouvernemental – c’est du pareil au même. Les partis politiques de gauche ou de droite ne seraient plus suffisamment différents pour offrir des alternatives politiques claires aux citoyens. Ces derniers iraient chercher ailleurs, on le voit en France avec le Front National. Mais cette explication n’est pas suffisante non plus. J’ai l’impression qu’il faut une combinaison de facteurs explicatifs. Il faut regarder dans chaque situation, dans chaque pays, les éléments d’histoire. Dans l’histoire suisse, on a une tradition politique et culturelle, depuis le 20ème siècle, qui désigne les étrangers comme un « problème ». Dans la loi sur les étrangers datant du début des années 30, on se souciait déjà de l’Überfremdung, c’est-à-dire de « la surpopulation étrangère ». L’État suisse – pas l’extrême droite -, l’État est préoccupé depuis le 20ème siècle par le danger que représenterait la « surpopulation étrangère ».

En Suisse, qu’est-ce qui a changé depuis que l’UDC est devenu le premier parti politique ?

Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas seulement les scores d’un parti d’extrême droite au niveau électoral, c’est en quoi ce parti arrive à faire bouger l’ensemble de l’échiquier politique vers la droite, et notamment vers des positions hostiles aux étrangers. Depuis 20-30 ans, en Europe, la situation s’est durcie à tous les niveaux, dans tous les pays. Même si l’extrême droite reste minoritaire – avec des scores électoraux oscillant entre 8% et 10% –, il y a des situations où elle devient le pivot qui tire l’ensemble de l’échiquier politique sur la droite, contre les étrangers. En Suisse, c’est particulièrement clair. Depuis que l’UDC progresse, les autres partis s’emparent des thèmes de l’UDC et font soit de la surenchère – parfois en essayant de la prendre de vitesse – ce qu’a essayé de faire le Parti libéral-radical, avec son initiative sur la mendicité (qu’il a maintenant retirée) ; soit ils proposent des solutions qui vont dans le même sens, mais qui sont un peu plus modérées. Mais ça va quand même dans le sens d’une stigmatisation des étrangers ou d’un renforcement de l’idée que les étrangers sont un problème.

Comment ces courants propagent-ils leurs discours ?

Prenons l’exemple des délits. Dans le discours dominant, on se pose systématiquement la question de savoir si c’est un étranger ou si c’est un Suisse qui l’a commis. Si c’est un Suisse, on va se poser la question de savoir si c’est un « vrai Suisse » avec tous les guillemets qu’il faut, ou si c’est un Suisse naturalisé. Il y a une espèce d’obsession, qui n’est pas seulement le signe de l’extrême droite. L’extrême droite joue à fond sur cet impensé nationaliste partagé, elle ne fait que le radicaliser, le systématiser. Ce qui ressort finalement renforcé, c’est l’idée que le clivage les Suisses / les Autres est une grille de lecture pertinente pour analyser n’importe quoi.

A titre personnel, qu’est-ce qui vous frappe dans ce phénomène ?

Je dirais que la force de l’extrême droite c’est sa force stratégique, alors que la gauche critique est sur ce plan dans les cordes. C’est aussi plus facile d’agiter les peurs que de faire appel à la raison, c’est peut-être ça le problème aussi… Pour finir sur un dernier exemple, celui des dealers, on néglige dans le débat public la plupart du temps les consommateurs, surtout si ce sont des personnes de la bonne société qui leur achètent de la drogue. Lorsque vous dites : « S’il y a des dealers, c’est qu’il y a des consommateurs », vous apparaissez déjà comme suspect !

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




« Le film « L’ESCALE » fait écho à ma trajectoire de requérant d’asile »

Les affiches de l'ESCALE à la gare de Lausanne. Photo: Saras Pages

Les affiches du film l’ESCALE à la gare de Lausanne. Photo: Saras Pages / Voix d’Exils.

Fin janvier-début février 2014, 20 demandeurs d’asile Iraniens font la grève de la faim devant l’ODM à Berne. Le 30 janvier, le film « L’ESCALE », qui raconte la vie de sept clandestins Iraniens réunis à Athènes dans l’espoir de passer dans la partie occidentale de l’Europe, reçoit le Prix du jury des 49ème Journées de Soleure. Requérant d’asile d’origine tamoul, Kumar, lui, a été touché par les similitudes entre sa propre trajectoire et celle des Iraniens qui témoignent dans « L’ESCALE ». Notre rédacteur Saras Pages a recueilli son témoignage.

« Dans ce film, tourné par le réalisateur genevois Kaveh Bakhtiari, il y a une scène qui est très touchante, non seulement pour moi mais aussi pour les 300 spectateurs présents à la projection en avant-première le 27 janvier à Lausanne, souligne Kumar. Cette scène montre un Iranien clandestin qui a fait une grève de la faim devant la Commission des droits humains à Athènes pendant plus de 35 jours. ». Athènes, Berne, deux réalités comparables qui se déroulent sous des latitudes différentes, comme l’explique Kaveh Bakhtiari: « On ne peut pas coller le film, le scotcher à un territoire ».

« Excusez-moi, dans quel pays sommes-nous, Monsieur ? »

« Personnellement, des passages m’ont fait sourire plutôt que pleurer, note Kumar. Je pouvais facilement prédire ce qui allait se passer ensuite, étant donné que certains dialogues et certaines actions ressemblaient à ce que mes amis et moi avions endurés. Notamment, les scènes qui concernent la route jusqu’en Europe. En tant que Suisse, que penseriez-vous si une personne que vous ne connaissez pas venait vers vous et vous demandait : « Excusez-moi, dans quel pays sommes-nous, Monsieur ? ». C’est la scène qu’a vécue un conducteur de taxi à Bâle lorsque j’ai pris son taxi à la gare pour qu’il me conduise au Centre d’enregistrement et de procédure d’asile, à près de deux kilomètres de là. »

Selon leur origine, les points de chute des migrants s’avèrent différent. Ainsi, pour les Iraniens et les gens en provenance du Moyen-Orient, L’ESCALE se fait en Grèce. Pour beaucoup de Tamouls, L’ESCALE a lieu plutôt en Thaïlande ou dans certains pays d’Afrique, plus rarement en Grèce.

Garder l’espoir sur la route de l’exil

Kumar confie son inquiétude quant au sort d’amis toujours à Bangkok, alors qu’ils ont pris le chemin de l’exil en même temps que lui, en 2009. « Imaginez leur vie : ils sont bloqués en Thaïlande, un pays qui n’accueille pas les migrants plus de quatre ans. C’est pourquoi, ces derniers vivent dans la clandestinité en attendant la réponse d’un passeur… »

Au début de l’année 2010, le jeune homme a rencontré des Tamouls requérants d’asile au Centre d’accueil de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. L’un d’eux lui a raconté une histoire qui restera à jamais gravée dans sa mémoire. « En voyant le film, le souvenir m’est revenu. Ce compatriote avait fui le  Sri-Lanka. Il avait traversé plusieurs pays d’Afrique et avait été détenu trois jours dans une prison d’un village du Maroc. Le premier jour, il avait eu très peur en raison de sa solitude, mais, les jours suivants, il avait repris l’espoir qu’un jour il serait libéré. La raison de ce changement était simple : sur un vieux mur de sa prison, il avait pu lire cette phrase écrite en langue tamoule : «தமிழன் இங்கும் உறங்கியுள்ளான் (« Un Tamoul a aussi dormi ici »). En visionnant « L’ESCALE », Kumar a réalisé que « ce n’était pas uniquement un film destiné aux gens qui accueillent les migrants, mais également un film pour les personnes qui ont fui leur pays. »

« Avant de partir, on ne sait pas qu’on risque sa vie »

Il partage l’avis de Kaveh Bakhtiari lorsqu’il affirme : « Évidement, avant de partir, on ne se rend pas compte des difficultés que ça représente, on ne sait pas qu’on risque sa vie. » Et aussi lorsque le réalisateur déclare : « Je pense que l’accumulation d’informations peut aider à sensibiliser les gens, mais je ne suis pas naïf, un film ça ne change pas le monde malheureusement. » Pour sa part, Kumar s’inscrit dans la même ligne : « Je ne suis pas naïf non plus, mon témoignage ne changera pas le monde malheureusement, mais j’espère qu’il donnera envie aux lecteurs de Voix d’Exils d’aller voir « L’ESCALE » qui est en salle actuellement. »

Saras Pages

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

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