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« J’ai fui la Guinée car j’étais menacé de mort par des militaires et un imam »

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Photo: Bruno Ben MOUBAMBA (CC BY-NC-SA 2.0)

Photo: Bruno Ben MOUBAMBA (CC BY-NC-SA 2.0)

Moussa Diallo, Peul guinéen de 21 ans, était éleveur de vaches dans son Fouta-Djalon natal. Membre d’un parti politique d’opposition, il a échappé à la mort lors d’un rassemblement politique dans le plus grand stade de Conakry réprimé dans le sang par le pouvoir en place. Il sera poursuivi avant de s’exiler en Suisse. Témoignage.

Logé au centre d’accueil de Perreux, dans le canton de Neuchâtel,  depuis moins d’un mois, en passant par le centre d’enregistrement pour requérants d’asile de Vallorbe et le cantonnement militaire des Pradières, toujours à Neuchâtel, il raconte les motifs qui l’ont poussés à s’exiler et comment il est arrivé en Europe.

Le tournant du rassemblement du 28 septembre 2009 à Conakry
« Je suis fils unique. Ma mère est décédée alors que je n’avais que trois mois. Un jour, je participais avec mon père aux réunions politiques de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti d’opposition dirigé par Celou Dalein Diallo, challenger du président guinéen Alpha Condé lors de la présidentielle de 2010. Après ces réunions, les militaires nous agressaient et nous menaçaient de mort. C’est ainsi que lors d’un rassemblement en date du 28 septembre 2009, j’étais sur les gradins du plus grand stade de Conakry en compagnie de mon père. Il y avait beaucoup d’opposants, comme Cellou Dalein Diallo, Sydia Touré et Mouctar Diallo. La foule avait littéralement envahi le stade. Les bérets rouges sont alors entrés dans le stade et ont commencé à tirer à bout portant, à lancer des gaz lacrymogènes et à violer des femmes. Une balle a alors touché mon père aux côtes et il est tombé. Dans cette cacophonie, j’ai fui de peur d’être touché à mon tour. On a emmené mon père à l’hôpital national de Donka et je l’ai retrouvé là-bas. Il ne parlait plus. Hormis le 1er janvier 2010 lorsqu’il me dit ceci: « Abdoulaye (c’est le nom de son petit frère qui vit en Angola), je te confie les vaches ». Après, il rendit l’âme. J’ai fui l’hôpital et Conakry, car j’étais recherché par les militaires du capitaine Claude Pivi, devenu entre-temps lieutenant-colonel, qui voulaient me supprimer.

 

En fuite pour l’Europe
Rentré à Fouta-Djalon pour élever les sept vaches laissées par mon père, j’ai été obligé de quitter mon village en octobre 2012, suite aux menaces de mort de l’imam local. Ce dernier, qui ne s’entendait pas avec mon père, m’accusait d’avoir mis enceinte sa troisième épouse, qui avait le même âge que moi, surtout que le bébé me ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il faut ici préciser que la femme de l’imam me nourrissait et m’aidait à élever les chevaux. Face aux menaces de mort de l’imam, j’ai alors fui le village le 1er octobre 2012, en marchant huit kilomètres à pieds jusqu’à Labe et, de là, je suis monté à bord d’une voiture pour me rendre au Sénégal, où je suis arrivé le 3 octobre 2012. Dans un parc à Dakar, j’ai rencontré une Guinéenne, mariée à un Mauritanien. Elle m’a amené à Nouakchott, en Mauritanie, où j’y ai passé un mois et 26 jours. A Nouakchott, je subsistais en travaillant dans la menuiserie. Un jour, une personne venue m’acheter des armoires m’a proposé de me rendre en Europe. Je n’y croyait pas mais il avait tout préparé. Le 1er décembre 2012, j’ai quitté Nouakchott pour Nouadibo où j’embarquais gratuitement pour l’Espagne.
La traversée dura sept jours. Mon sac de voyage, où se trouvaient ma carte d’identité et ma carte de membre de l’UFDG, ainsi que mes habits sont passés par dessus bord. Arrivé à Malaga, en Espagne, on m’a dit de fuir. J’ai passé la nuit dans une maison abandonnée. Le matin, un Noir m’a vu et m’a invité chez lui, où j’ai passé huit jours en sa compagnie. Le huitième jour, nous avons pris un bus en partance pour Madrid en Espagne. De Madrid, nous avons pris un train pour Lyon, en France et, de Lyon, nous avons changé de train pour atteindre Genève, en Suisse, le 17 décembre 2012.

Nous avons passé la nuit à Genève chez un ami du Noir rencontré en Espagne. Le 18 décembre, je me suis présenté à Vallorbe, où je suis resté quatre jours, avant d’être transféré au cantonnement militaire des Pradières à Neuchâtel, où j’ai logé pendant deux mois et six jours.

Aux Pradières, on mangeait de la nourriture non cuite, parfois de la viande pourrie. J’ai vu des gens qui cassaient leurs assiettes pour protester contre la mauvaise qualité des aliments qu’on nous servait. A Vallorbe, on était 16 personnes dans une chambre mais, aux Pradières, on était 20. De la gare des Geneveys, sur Coffrane, pour atteindre les Pradières, on faisait une heure et demie de marche, sauf le week-end où le bus nous déposait à la gare.

Pour conclure, je peux dire que mon arrivée en Europe est une aubaine pour moi car je n’ai rien dépensé et j’ai tout laissé derrière moi. Je suis persuadé que c’est Dieu qui m’a aidé. J’aimerais apprendre n’importe quel métier pour ne pas vendre de la drogue. Aujourd’hui, j’ai peur de circuler avec des amis requérants d’asile parce qu’ils peuvent être des dealers sans que je le sache et si on nous arrête ensemble, on peut aussi m’accuser de dealer alors que je ne suis pas un dealer. En Guinée, je n’ai plus de famille depuis la mort de mon père. Il me disait qu’il avait un frère qui vit en Angola, mais je ne l’ai jamais rencontré et je ne sais pas s’il est toujours en vie. Les Peuls sont menacés par le pouvoir politique, du fait qu’ils ont le pouvoir économique. En Suisse, j’ai trouvé la sécurité, la paix et tout est beau ici. En Guinée, je vivais tout le temps dans la peur d’être tué, soit par les militaires du lieutenant colonel Pivi ou les gris-gris de l’imam de Fouta-Djalon ».

Propos recueillis par :

Paul Kiesse
Membre de la rédaction neuchâteloise



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