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« Nous devons inlassablement rétablir la vérité pour la faire triompher sur le mensonge »

César Murangira. Rescapé du génocide des Tutsis au Rwanda vivant en Suisse. Photo: Voix d'Exils

César Murangira. Rescapé du génocide des Tutsis au Rwanda vivant en Suisse. Photo: Voix d’Exils.

C’est un homme de quarante ans. Jovial, souriant. Bien inséré en Suisse, travaillant dans le social, il est marié et père de deux enfants. Il s’appelle César Murangira. Rescapé du génocide des Tutsis au Rwanda – qui se déroula du 6 avril au 4 juillet 1994 – il porte inlassablement son témoignage, s’engage pour réconforter les rescapés et pour combattre les génocidaires. Avec l’association Ibuka – « souviens-toi » en kinyarwanda – il prépare la 19ème commémoration du génocide, qui aura lieu le 13 avril prochain à Genève.

Voix d’Exils : Que vous est-il arrivé en 1994 ?
César Murangira : Je suis originaire de Kigali, la capitale du Rwanda. En 1994, j’avais 20 ans. Le Rwanda était progressivement devenu une poudrière depuis que les puissances coloniales avaient basé leur gouvernance sur une distinction raciale entre les Tutsi et les Hutu, alors qu’ils n’étaient que des groupes sociaux différents par leur mode de vie: les Tutsi étant pasteurs et les Hutus laboureurs. Le 6 avril 1994, à 20h30, je parlais encore avec mon meilleur ami, un Hutu. Le lendemain, il essayait de me tuer, parce que j’étais Tutsi. Le massacre, qui devait faire plus d’un million de victimes en l’espace de 100 jours, avait commencé. Dans la tourmente, j’ai perdu toute ma famille proche: mon père et mes cinq frères et sœurs. Je suis le seul survivant avec ma mère, que j’ai retrouvée en novembre 94 et qui vit aujourd’hui en Suisse près de moi.

Qu’est-ce que ce traumatisme a changé en vous ?

Fondamentalement, je suis resté le même. Mais ma façon de voir le monde a changé, parce que j’ai vu l’Homme dans sa bonté et dans sa méchanceté absolue. Après l’horreur, il m’a tout d’abord fallu accepter que cela se soit passé, puis me demander ce que j’allais faire de cette douloureuse expérience. Il y avait plusieurs chemins devant moi : je me suis rapidement débarrassé de la question de la culpabilité d’avoir survécu ; de même, j’ai exclu la haine. A quoi bon ? Cela fait tellement mal et ne va pas ramener ceux que j’ai perdu. J’ai également refusé de me définir comme une victime. Mon choix a été de m’investir dans la mission de la mémoire et de l’aide aux rescapés les plus vulnérables. Faire face aux conséquences du génocide est un chemin personnel, il n’y a pas de recette miracle. Chacun fait comme il peut.

Craignez-vous que l’histoire se répète ?

Oui. Mais pas uniquement au Rwanda. Le mécanisme d’extermination d’une population peut se réactiver partout. Il suffit d’allumer son poste télévision le soir pour s’en rendre compte. Je peux vous dire qu’ici même, en Suisse, j’ai ressenti un grand malaise lors de la campagne de l’Union Démocratique du Centre dite « des moutons noirs », car on transformait l’autre en animal indésirable. Cela me faisait écho au fait qu’au Rwanda, on appelait les Tutsis les « cancrelats » (les cafards) pour les déshumaniser.

Êtes-vous retourné au Rwanda ?

Oui, régulièrement. C’est mon carburant. Si je pouvais, je m’y installerais définitivement. Là-bas, lorsque je me recueille auprès du mémorial des membres de ma famille, je me sens avec eux, je leur parle et leur dis : « vous n’êtes pas morts, je porte votre parole ».

Les traces du génocide sont toujours présentes, aussi bien chez les rescapés que chez les bourreaux. Mais le pays est aujourd’hui pacifié. Après le génocide, il fallait tout reconstruire, développer le système scolaire, les soins. Il fallait inventer, innover. Aujourd’hui, tous les Rwandais disposent d’une couverture médicale, on a créé de nouveaux villages pour faciliter l’accès à l’eau et à l’électricité, on a aussi mis sur pied un système d’imposition qui permet au Rwandais de faire face à leur destin sans être tributaires des aides internationales.

Êtes-vous satisfait du travail du Tribunal d’Arusha qui juge les personnes responsables du génocide?

J’ai un problème avec ça. La justice ne va pas ressusciter ceux qui sont morts. La punition ne pourra jamais être en rapport avec la souffrance vécue, donc, la justice n’existe pas, c’est un bricolage qui ne satisfait personne. J’ai le même problème avec d’autres mots, comme « réconciliation » ou  « pardon ». Pour moi, la seule chose à faire, c’est de prévenir les crimes. Il faut donner à chacun l’égalité des chances, avec des lois qui garantissent à chacun les conditions minimales qui lui permettent de mener une vie digne.

Comment vivez-vous l’approche de la 19ème commémoration du génocide ?

Le temps passe mais, pour moi, c’est comme si c’était hier. Je m’engage auprès des rescapés, je suis à leur écoute. Je m’occupe de l’organisation de la commémoration qui aura lieu le 13 avril prochain à Genève.

Dans ma vie quotidienne, je m’investis pour la mémoire. Je vais dans les écoles, parler avec les élèves. Comme rescapé, ma mission est de témoigner, d’alerter les gens sur le risque qui découle de la discrimination d’un groupe de personnes. Aujourd’hui, malgré le temps qui passe, je ne crains pas l’oubli. Je sais qu’il y a une transmission silencieuse. Je connais par exemple un jeune Arménien, de père Suédois, qui perpétue la mémoire du génocide qui a touché son peuple il y a quatre générations. Ce qui me fait peur, par contre, c’est le négationnisme, qui dénature les faits et les banalise. Nous devons inlassablement rétablir la vérité pour la faire triompher sur le mensonge.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Infos :

Invitation à la 19ème journée de commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994 :

samedi 13 avril 2013, Le Manège, Route de Chancy 127, 1213 Onex /Genève

Pour plus d’infos, consultez la page web de l’événement en cliquant ici