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« Je découvre tous les jours des choses nouvelles dans la culture suisse »

l’Injera: un plat traditionnel erythréen

Esther* est une jeune veuve de 35 ans dont la fillette est restée en Erythrée avec la grand-maman. Au bénéfice d’un permis N, elle vit depuis six mois dans un Centre d’hébergement de l’EVAM. Eclairage sur le quotidien de cette requérante d’asile.

Article 2/2 du dossier : « le quotidien des requérants d’asile »

Voix d’Exils : Comment se passent vos journées ?

Esther : Quand je vais à mon cours de français qui commence à 8h:30, je me réveille tôt, vers 6h-7h, car avant les cours il faut que je prie et que je m’occupe des nettoyages du Centre. Puis je prends une douche et je déjeune. Quand je n’ai pas de cours, je me réveille tôt pour préparer les repas de midi et du soir, car le matin la cuisine est libre, tandis qu’à midi ou le soir, la cuisine est plutôt agitée. Le soir, je ne me couche pas tous les jours à la même heure. Parfois, je passe de bons moments avec mes compatriotes. On bavarde, on boit du thé et il m’arrive de me mettre au lit après minuit.

En quoi consistent ces nettoyages ?

Je nettoie les vitres, la cuisine, les escaliers, les salles de bains du Centre. Cette activité m’occupe 30 à 40 minutes par jour, 6 jours par semaine, et me permet de gagner CHF 120.- par mois, soit 6 à 10 francs de l’heure.

Vous êtes donc volontaire ?

Oui. Cela m’occupe et en plus je suis payée pour ça. Comme ça, je peux gagner un peu d’argent et l’envoyer à ma fille, qui a sept ans, pour qu’elle puisse s’acheter tout le nécessaire pour son école.

Comment êtes-vous logée ?

Je partage une chambre de 16 mètres carrés avec deux autres colocatrices. Heureusement, je m’entends bien avec elles. Même si elles ne viennent pas de mon pays, on arrive à communiquer car on parle les trois l’anglais. Et puis elles ont à peu près le même âge que moi. Donc, les six mois passés ensemble dans le Centre d’hébergement ont été supportables, car il faut du temps pour faire connaissance. Mais il ne faudrait pas que cette situation s’éternise, car je trouve que vivre à plusieurs dans une chambre devient pénible après une année.

Que faites-vous pendant vos loisirs ?

Je passe beaucoup de temps libre avec mes compatriotes et les gens des pays voisins de l’Erythrée avec qui je peux m’entretenir car on parle des langues communes : le tigrinya, l’amharique et l’anglais. On partage aussi la même culture. Par exemple, on prépare ensemble l’Injera**, notre plat traditionnel. On mange, on partage le quotidien, on se promène dans les rues, dans la forêt, on fait les courses, on va dans les magasins de seconde main, qui sont très utiles. Car avec CHF 12,50.- par jour pour acheter de la nourriture et pour s’habiller, on ne peut pas acheter tout le nécessaire au premier prix.

Avez-vous le droit de travailler ?

Etant en Suisse depuis plus de trois mois et titulaire d’un Livret N, j’ai le droit provisoire de travailler le temps de ma procédure d’asile. Mais mon manque de maîtrise de la langue française me bloque tout accès au monde du travail ; et de toute manière il est très difficile de trouver un travail avec un Livret N. D’ailleurs, je constate un petit côté négatif dans cet entretien, puisqu’on parle en anglais, ce n’est pas comme ça que je vais améliorer mon français !

Avez-vous fait des démarches pour trouver du travail ?

Ma priorité actuellement est d’améliorer mon français, car je me suis rendu compte que sans maîtrise de la langue, ça ne vaut même pas la peine d’aller s’enregistrer dans les agences de travail. Je connais une personne qui est allée chercher du travail, mais on l’a renvoyée en lui conseillant de revenir trois mois plus tard quand elle saura mieux parler français.

Quel était votre travail dans votre pays d’origine?

J’ai travaillais dans une entreprise d’import-export.

L’inactivité vous pèse-t-elle ?

Je ne pense pas que je mène une vie inactive ! Je fais des travaux de nettoyage, je suis des cours de français, j’ai des rendez-vous chez le médecin, avec les assistants sociaux, je vais à l’église, je découvre tous les jours des choses nouvelles dans la culture suisse qui est totalement différente de la nôtre. Les journées ici passent très vite !

Que feriez-vous si la Suisse ne reconnaissait pas votre statut de réfugiée?

Je m’en remets à Dieu tout puissant.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans votre vie actuelle ?

Le plus difficile est d’être loin de ma fille et de ma famille. C’est aussi difficile de commencer une toute nouvelle vie à mon âge et dans un tout nouvel environnement. Et aussi de vivre dans l’attente continuelle en ne sachant pas si la réponse à ma demande d’asile sera positive ou négative.

Si vous deviez citer un point positif dans votre vie actuelle,quel serait-il?

Je suis contente d’être venue dans l’un des pays le plus sécurisé du monde. D’après ce que disent certains requérants qui sont passés par d’autres pays européens, la Suisse fournit les meilleures prestations côté accueil, santé, logement et financement. Mais cela varie bien sûr d’un canton à l’autre et selon les Centres d’accueil dans lequel vous atterrissez.

Propos recueillis et traduits de l’anglais par :

Javkhlan TUMURBAATAR

Membre de la rédaction Voix d’Exils

* Prénom d’emprunt.

** L’injera avec Tsebhi (ragoût) est l’un des principaux plats de la cuisine traditionnelle érythréenne. Aussi appelée Taita, l’injera est une crêpe levée. Elle est composée de levain et de farine de Taff. Une fois que la base est mélangée à de l’eau, on la laisse fermenter pendant quelques jours. Quand le mélange arrive à maturité, il est cuit sur une poêle en argile ronde.