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Des requérants d’asile expérimentent l’art participatif

L’arbre de la connaissance

Des artistes suisses et des requérants d’asile du foyer EVAM de Bex ont collaboré à l’occasion d’un workshop qui s’est tenu une semaine durant dans le cadre de la 11ème triennale de Bex & Arts.  Retour sur une semaine d’expérimentations et de créations collectives hors du commun.

 

Episode 1/2

Depuis sa première édition en 1981, Bex & Arts est devenu un rendez-vous important dans le monde de l’art en Suisse. Tous les 3 ans le parc Szilassy, situé sur les hauts du village de Bex, se transforme en musée en plein air. Ce jardin anglais se prête bien au thème des « territoires », qui est précisément le thème choisi pour cette édition, car sa configuration très délimitée questionne les notions de frontières physiques et psychiques.

« Siamo tutti beati » : un workshop artistique participatif

Animé par Beat Lippert, Donatella Bernardi et Hadrien Dussoix, trois artistes contemporains genevois, « Siamo tutti beati » (« Nous somme tous bienheureux ») est un workshop où les participants et les artistes cherchent à récupérer des matériaux « zéro cost » pour en faire des installations éphémères. « On a développé cette idée pour la première fois à Nettuno (près de Rome) en Italie, avec Donatella. Et puis l’idée de ce workshop est aussi de travailler avec des gens du lieu », explique Beat Lippert, initiateur du workshop. « Et les gens de Bex qui ont été invités à participer à cette semaine d’activités sont les habitants du foyer EVAM de Bex ». Donatella Bernardi, quant à elle, insiste sur le fait que les requérants d’asile « sont des habitants de Bex à part entière. Ils vivent là, donc c’est logique de travailler avec eux ».

Les participants à la recherche de matériaux à la déchetterie de Bex

L’expérience de « l’expression libératrice »

Lundi 27 juin. L’expérience débute à 10 heures. Le groupe se prépare à vivre une semaine d’activité collective intense. Le nombre total des participants, artistes compris, est de 11 pour ce premier jour. Ce chiffre fluctuera au gré des jours, suivant la disponibilité des uns et des autres.

Direction le parc Szilassy, pour une visite. Hadrien Dussoix nous éclaire sur le but de cette première escapade : « Avant de commencer à travailler, on a visité les œuvres permanentes exposées dans le parc, pour se faire une idée du lieu, de l’espace, de la taille de l’expo, du genre de sculptures qui sont là, pourquoi elles sont là et qui les a faites. C’est à partir de cela que nous avons commencé à discuter ».

Les organisateurs de ce workshop misent sur la participation active de chacun, tant dans la création que dans la réalisation des installations. « Ça a vraiment commencé sous l’arbre. D’abord par inadvertance, car il faisait tellement chaud qu’on était allé sous l’arbre pour se mettre à l’ombre. Et on a commencé à discuter à ce moment-là. Des idées sont venues, et c’était super », poursuit Hadrien.

Le groupe à proximité de l’arbre investi durant cette semaine. En arrière plan, le village de Bex

C’est précisément cet arbre qui a inspiré tout le monde, et les participants ont décidé de l’investir en s’inspirant de l’arbre biblique de la connaissance. Pour illustrer ce principe de récupération mentionnons, par exemple, que le serpent qui entoure l’arbre est constitué de câbles électriques qui ont aussi été récupérés à la déchetterie de Bex.

Par ailleurs, les participants se sont livrés à de l’expression spontanée à partir de supports accrochés à l’arbre. « Cela nous a donné l’opportunité d’exprimer toutes les pensées qui nous passaient par la tête. Donc vous voyez, ce qui est écrit, c’est ce qui était dans nos pensées », explique Marie-Louise qui réside au foyer de Bex.

Le dialogue des œuvres

Ponctuellement, le groupe s’est livré à un jeu qui consistait à répondre aux œuvres qui se trouvent dans le parc en les investissant. « Certains artistes refusent que leurs œuvres soient réinvesties. Peut-être de peur de voir leurs créations vidées de leur sens. D’autres comprennent et autorisent la démarche » explique Beat Lippert. Ce fut notamment le cas avec David Renggli, qui donna l’autorisation de réinvestir son œuvre intitulée Twisted stripclub gives shelter from rain (Bar tordu qui abrite de la pluie). Il s’agit d’un bar construit sur la base d’une structure métallique. Les participants ont laissé leur imagination vagabonder et ont métamorphosé cette pièce en lui donnant une allure plus vivante en l’animant. C’est ainsi que le samedi, le groupe a même animé cette sculpture en forme de bar en y servant de l’absinthe.

Le bar de Renggli réinvesti par le groupe

« Le territoire de la créativité »

Les trois artistes genevois insistent sur le principe de faire de l’art ne nécessitant pas de d’investissements financiers, mais qui place au centre de la démarche l’esprit créatif. Démarche qui contraste d’ailleurs avec certaines œuvres exposées dans le parc qui ont un coût certain. Ceci illustre ce que Donatella entend par le concept de « territoire » qui est au centre du workshop dont elle propose une définition : « Le territoire de la créativité, c’est comment tu peux créer avec rien, avec une poubelle, avec les choses que tu vas trouver à la déchetterie, à l’aide de ton imagination. C’est ce territoire-là qui nous intéresse en particulier! ».

Du côté des participants, cette démarche semble avoir porté ses fruits, puisqu’un esprit de groupe s’est créé au fil des heures passées ensemble, et les participants ont été les artisans de ces installations éphémères. Du reste, Marie-Louise explique que « bien que certains aient plus participé que d’autres, tous ont contribué au workshop». Cette expérience auprès d’artistes confirmés leur a surtout permis de sortir du quotidien, comme nous confie encore Marie-Louise : « […] Au lieu de rester sans rien faire j’ai appris voilà. […] J’ai eu beaucoup de plaisir à passer toute la semaine à travailler ».

Très prochainement, Niangu NGINAMAU, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, expliquera plus en détails les œuvres réalisées par le groupe durant cette semaine atypique à Bex.

David BURNIER

Civiliste au Programme d’occupation Communication de l’EVAM